Quand une nouvelle déclaration d’intention d’aliéner ouvre de nouveaux délais
De la computation des délais en matière de droit de préemption urbain.
Par un arrêt rendu le 29 décembre 2020, la Cour administrative de DOUAI vient préciser les contours des dispositions du code de l’urbanisme relatives aux délais applicables en matière de droit de préemption urbain.
L’histoire
Le 1er avril 2016, les propriétaires d'un immeuble situé à Saint‑Omer, ont adressé à la commune de Saint‑Omer une déclaration d'intention d'aliéner par l’intermédiaire de leur Notaire.
Le 20 mai 2016, le directeur général de l'établissement public foncier du Nord‑Pas‑de‑Calais a exercé le droit de préemption urbain sur le bien en cause.
Les futurs acquéreurs ont alors saisi le tribunal administratif de Lille en vue d'annuler d'une part, la décision du 20 mai 2016 par laquelle le directeur de l'établissement public foncier du Nord‑Pas‑de‑Calais a exercé le droit de préemption urbain sur le bien immobilier sis à Saint‑Omer, d'autre part, la décision du 8 août 2016 par laquelle cette autorité a rejeté leur recours gracieux.
Le tribunal a rejeté cette demande par un jugement du 18 juin 2019 dont les acquéreurs font appel.
Devant le tribunal et la cour, ces derniers soulèvent le moyen tiré de la tardiveté de la décision de préemption.
La décision de préemption était‑elle tardive ?
La cour rappelle les termes de l'article L. 213‑2 du code de l'urbanisme qui dispose que : « Toute aliénation visée à l'article L. 213‑1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. »
Cet article précise que la déclaration comporte obligatoirement :
- l'indication du prix
- l’indication des conditions de l'aliénation projetée
- ou, en cas d'adjudication, l'estimation du bien ou sa mise à prix, ainsi que les informations dues au titre de l'article L. 514‑20 du code de l'environnement.
Le titulaire du droit de préemption peut, dans le délai de deux mois prévu au 3ème alinéa de l’article L. 213‑2 du code de l’urbanisme, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble, ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière. (…).
Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption.
A noter que le délai est suspendu à compter de la réception de la demande ou de la demande de visite du bien. Ce délai recommence à courir à compter :
- de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption,
- du refus par le propriétaire de la visite du bien
- ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption.
Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision.
Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption.
Il convient en outre de combiner les dispositions de l’article L. 213‑2 du code de l’urbanisme à celles de l'article R. 213‑7 du même code qui prévoit que : « I. - Le silence gardé par le titulaire du droit de préemption dans le délai de deux mois qui lui est imparti par l'article L. 213‑2 vaut renonciation à l'exercice de ce droit. Ce délai court à compter de la date de l'avis de réception postal du premier des accusés de réception ou d'enregistrement délivré en application des articles L. 112‑11 et L. 112‑12 du code des relations entre le public et l'administration, ou de la décharge de la déclaration faite en application de l'article R. 213‑5. ".
L’objectif de cette architecture législative consiste notamment à garantir que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption puissent savoir de façon certaine et dans les plus brefs délais s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation entreprise.
Il ressort de la combinaison de ces deux articles que lorsque le titulaire du droit de préemption a décidé de renoncer à exercer ce droit, que ce soit par l'effet de l'expiration du délai de deux mois imparti par la loi ou par une décision explicite prise avant l'expiration de ce délai, il se trouve dessaisi et ne peut, par la suite, retirer cette décision ni, par voie de conséquence, légalement décider de préempter le bien mis en vente.
En conséquence, le principe de sécurité juridique est garanti tout en permettant à la puissance publique d’exercer ses prérogatives.
La cour rappelle que « La réception d'une déclaration d'intention d'aliéner ouvre à l'autorité titulaire du droit de préemption mentionné à l'article L. 213‑1 du code de l'urbanisme la possibilité d'exercer légalement ce droit, alors même, sauf lorsque le code de l'urbanisme en dispose autrement, qu'elle aurait renoncé à en faire usage à la réception d'une précédente déclaration d'intention d'aliéner du même propriétaire portant sur la vente du même immeuble aux mêmes conditions. »
Là où le bât blesse.
Il ressort des pièces du dossier que le notaire des mêmes propriétaires avait adressé une déclaration d'intention d'aliéner portant sur la même parcelle à Saint‑Omer au profit des mêmes acquéreurs, le 4 mars 2016, à la commune de Saint‑Omer qui l'a reçue le 7 suivant.
Cette déclaration mentionnait les références et la surface des parcelles concernées, le prix et la commission d'agence.
A la suite de cette déclaration, aucune demande de communication de document ou de visite n'a été faite et le délai légal de deux mois a expiré le 7 mai 2016 sans que le droit de préemption ait été exercé.
De l’examen des pièces du dossier il ressort que ce même notaire a ensuite adressé une nouvelle déclaration d'intention d'aliéner, le 1er avril 2016, à la commune de Saint‑Omer qui l'a reçue le 5 avril suivant.
Cette seconde déclaration comportait les mêmes informations que la déclaration précédente, à la seule exception de la mention, faite pour la première fois, d'une évaluation du mobilier meublant la maison, et de ce qu’elle a été transmise à la communauté d'agglomération de Saint‑Omer puis à l'établissement public foncier du Nord‑Pas‑de‑Calais, titulaire du droit de préemption urbain par délégation.
La morale :
Se fondant sur la combinaison des articles du code de l’urbanisme, la cour juge que la déclaration d'intention d'aliéner du 1er avril 2016 a ouvert un nouveau délai de préemption de deux mois au bénéfice de l'établissement public foncier.
La cour confirme le jugement, estimant sur ce chef de demande, que la décision de préemption attaquée, prise le 20 mai 2016, n'a pas méconnu les dispositions du code de l’urbanisme et n'était pas tardive.
Cet arrêt témoigne de la vigilance accrue des juridictions s’agissant des contestations de décisions par les communes et les établissements publics fonciers d’user de leur droit de préemption.
La cour rappelle par cette décision qu’une vigilance particulière doit être portée par les parties et leur conseil à l’examen des pièces susceptibles de faire courir de nouveaux délais.
Gageons qu’à un moment où les communes s’emparent du droit de préemption pour constituer une réserve foncière et étendre leur domaine, d’autres décisions en cette matière suivront.
CAA Douai, 1ère, 29‑12‑2020, n° 19DA01955